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Le blog' de Gautier
23 juillet 2006

Carnet de lectures...

Continuons de tourner les pages de mes carnets de lectures… Après Ryszard Kapuściński, Dominique Ponnau et André Gide, voici Marcel Pagnol. Un texte qui n’a pas pris une ride...

pagnol

" Dans ce petit village de Provence, la source d’eau qui alimente toute la population est tarie. Tout le monde est affolé. Le dimanche, à la messe, il y a foule, contrairement à l’habitude. Le curé monte en chaire.

« … Quand j’étais jeune (mon père était paysan, comme vous, dans un petit hameau près de Sisteron), nous avions un cousin qui s’appelait Adolphin. Il habitait un autre village pas très éloigné du nôtre, et pourtant, il ne venait jamais nous voir, ni pour les fêtes, ni pour les naissances, même pas pour les morts. Mais de temps en temps (à peu près une fois par an) j’entendais mon père qui disait : « Tiens, voilà l’Adolphin qui s’amène ! Il doit avoir  besoin de quelque chose ! »

L’Adolphin montait le sentier, tout habillé des dimanches. Il nous faisait des amitiés, des compliments, et il parlait de la famille à vous mettre les larmes aux yeux. Et puis, au moment de partir, quand il avait embrassé tout le monde, il disait : « A propos, Félicien, tu n’aurais pas une charrue de reste ? J’ai cassé la mienne sur une souche d’olivier. » Une autre fois, c’était un fagot de sarments pour ses greffes – parce que mon père faisait un vin fameux – ou alors son cheval avait des coliques, il fallait lui prêter le mulet. Mon père ne refusait jamais, mais je l’ai souvent entendu dire : « L’Adolphin, c’est pas un beau caractère ! »

Il se pencha sur le bord de la chaire, promena son regard sur l’assistance, et dit avec force :

- « Eh bien mes amis, ce que vous faites aujourd’hui au bon Dieu, c’est le coup de l’Adolphin ! Il ne vous voit presque jamais, et brusquement, vous arrivez tous, les mains jointes, le regard ému, tout estrantinés de foi et de repentir. Allez, allez bande d’Adolphins ! Il ne faut pas vous imaginer que le bon Dieu soit plus naïf que mon pauvre père, et qu’il ne vous comprenne pas jusqu’au fin fond de votre petite malice ! Il sait très bien, le bon Dieu, qu’il y en a pas mal ici qui ne sont pas venus pour lui offrir un repentir sincère, ou pour prier pour le repos de leurs morts, ou pour faire un pas dans la voie de leur salut éternel ! Il sait bien que vous êtes là parce que la source ne coule plus ! »

eglise_de__la_treille

L'église de la Treille

Beaucoup de paroissiens baissèrent la tête comme au moment de l’élévation. Les uns par confusion, d’autres pour cacher un sourire. Monsieur le curé les regarda un instant, tout en tirant de sa manche un mouchoir blanc comme neige, avec lequel il s’essuya le front. Puis il reprit sur un ton un peu sarcastique, et en tournant son regard de divers côtés :

- « Il y en a qui sont inquiets pour le jardin, d’autres pour la prairie, d’autres pour les cochons, d’autres parce qu’ils ne savent plus quoi mettre dans leur pastis ! Ces prières que vous avez la prétention de lui faire entendre, ce sont des prières pour les haricots, des oraisons pour les tomates, des Alléluia pour les topinambours, des Hosanna pour les coucourdes ! Allez, tout ça, c’est des prières adolphines ! Ça ne peut pas monter au ciel, parce que ça n’a pas plus d’ailes qu’un dindon plumé ! » "

Marcel PAGNOL, Manon des Sources.

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