Crottes de Bic !
Je hais la personne qui m'a vendu l'ouvrage comme si de rien n'était. Par Internet, lorsque l’on recherche un livre disparu des rayons des libraires depuis longtemps, on est contraint de se fier à la description écrite de l'exemplaire.
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Et, surtout, je ne compte pas ma détestation pour la personne qui a détenu ce livre, l'a lu, et l'a rejeté en l'état, porteur de ses soulignements, voire de ses annotations personnelles. Je songe à quelqu'un qui se déferait de son linge, pour qu'un autre le vende. Son linge sale.
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Mais qu'est-ce qui peut bien justifier cette sorte de haine sourde pour celle ou celui qui a pique-niqué avant moi sur le pré de la page et laissé trace de son passage ? Si ce n'est que je reconstitue son menu à travers ses déjections et vérifie que, comme la plupart des mes contemporains, il n'a guère fait acte social de manger. Il a saucissonné.
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Ce sentiment, aussi, sans doute, que quelqu'un lit par-dessus mon épaule…
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De plus, les raisons pour lesquelles tel passage, telle expression me touchent aujourd'hui et me paraissent dignes d'être fixées plus durablement, ne figurent pas explicitement dans le texte. Il s'agit, souvent, d'un rapprochement que j'établis ou qui s'impose. Ce qui signifie qu'un simple trait marginal serait supposé adjoindre au texte imprimé l'idée rapportée qui me rend celui-ci particulièrement significatif. Cela ne saurait se défendre.
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Il se peut que ce type de lecteur nourrisse quelque nostalgie du gribouillage propre à l'enfant qui biffe toute surface à sa portée - mode archaïque de découverte et d'appropriation de l'environnement, antérieur au dessin de composition et à l'accès au langage articulé.
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Martin-Dupont-Durand n'étant pas « l’auteur du siècle », il est peu probable que je confonde ses coups de crayon ou ses crottes de Bic.
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Autre motif d’énervement : l'ex-dono, cette odieuse appropriation de l'objet par qui offre un livre à un tiers et se hausse au rang de donateur en y apposant sa griffe (et, la plupart du temps, le motif du cadeau). Ici, l'intention s'exhibe, pavane, annexe le volume, se substitue à son auteur : c'est l'ostension du sympa, des bons sentiments en majesté, tartinés, sous-titrés pour malentendants, c'est le livre instrumentalisé, réduit à la fonction de dragée, de carte de visite ou d'anniversaire. Imagine-t-on quelque autre objet de consommation courante ou de luxe sur lequel il serait, de la sorte, loisible d'apposer l'inutile bavardage qui paraphrase le don ?
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Je les hais !
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