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Le blog' de Gautier
26 mars 2007

Solitude, silence et contemplation…

Oraison_1Notre monde moderne est prodigue en paradoxes : à l’heure où jamais les philosophes athées n’ont eu un tel traitement de faveur dans les magazines, voici qu’un film tente d’introduire le monastère au cinéma, la célébration de l’invisible au sein d’un univers désacralisé, les délicates harmoniques du silence dans un monde voué à l'agitation et au bruit ! Et ce, sans la moindre once de théâtralité, puisque « Le Grand Silence » propose deux heures quarante d’oraison silencieuse à ceux qui auront l’audace de convertir une place de spectacle en un suspense méditatif qui emprunte à l’éternité.

C'est au moment où il ne se passe rien, absolument rien de visible, dans ces vies aux rituels cadencés et indéfiniment répétés, que surgit le tout : l’absolu de la divinité ! Rude et cristalline leçon offerte par Philip Gröning, qui attendit une vingtaine d’années pour tourner ce film, et mit plus d’un an pour en parfaire le montage. Il est vrai qu’au regard d’un tel sujet, il est préférable d’avoir l’éternité devant soi ! Mille ans sont comme un jour, et deux heures quarante sont comme un clin-Dieu dans notre monde de hâte et d’imparfaites joies qui ne cache pas sa perplexité face à cet autre monde, âpre et intemporel, fait d’immobilité triomphante et d’une vie toute de simplicité primitive : celle des moines contemplatifs.

Les contemplatifs le savent bien, notamment par la pratique de la lectio divina : contre toute attente, ce n’est pas le silence que l’on trouve au fin fond du silence. Mais la Parole. La parole sacrée, surgissant comme une source ignorée ou cachée, et qui soudain vient nous rafraîchir et, peut-être, apaiser notre soif pour longtemps.

Dom Augustin Guillerand, encore un chartreux, aimait à préciser que « la solitude et le silence sont hôtes d’âme. L’âme qui les possède les porte partout avec elle. Celle qui en manque ne les trouve nulle part. » On remarquera que solitude et silence peuvent constituer des sommets ou des précipices selon notre état d’âme du moment. Il est des silences d’enfermement et il est des silences de connivence. Il est des solitudes d’isolement et de refus où la personne, à force d'être rejetée, ne se sent plus personne, et des solitudes de ressourcement où il est donné à l’être de réinvestir sa souveraineté intérieure. La solitude et le silence : palais ou prisons ? Optons pour les silences qui en disent plus long que les mots, et pour ces solitudes peuplées des présences les plus généreuses et les plus respectables de notre for intérieur ! « Une seule chose est nécessaire, s’exclamait Rilke : la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même et ne rencontrer pendant des heures personne, c’est à cela qu’il faut parvenir. » Empressons-nous de préciser que l'intériorité est tout le contraire de l'introspection narcissique et souffreteuse : elle est à la fois quête d'authenticité et de plénitude.

Le “laisser vivre” n'est pas une exhortation d'hédoniste, mais un exercice spirituel des plus ardus tant il nous est compliqué d'être simple, tant nous mettons d'acharnement à contrarier ce à quoi nos élans nous invitent. Expérimenter le bienheureux abandon, voilà ce que nous devons envier aux moines contemplatifs : laisser émerger en nous une conscience nouvelle qui ne nous échappe ni ne nous appartient tout à fait. « Il faut que nous sortions de plus en plus des mille riens où se perdent la moitié de nos pensées et de nos sentiments » préconise Dom Guillerand. Une bonne méthode, qui était chère au philosophe Alain, consiste à prendre du recul pour voir ce que devient, dans le temps, notre préoccupation, notre anxiété, ou telle situation du moment jugée dramatique. Ce qui était une montagne devient un caillou ; et même s’il nous a fait trébucher, ne lui donnons pas, à ce caillou, une autre dimension que celle que le temps nous permet de lui reconnaître objectivement.

Un peu de hauteur, un peu de recul : autant dire un peu de silence, un peu de solitude. Cela nous permet de quitter le terrain vague de nos appréhensions secrètes pour aborder l’ermitage de la paix du cœur. Peut-être alors serons-nous inspirés, comme le fut Dom Guillerand, à convertir notre regard porté sur la vie et le sens profond des choses : « Je ne chante plus des saisons qui s’en vont et des choses qui finissent ; je ne sais plus et je ne veux plus savoir que les choses éternelles… »

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Commentaires
T
Merci pour ce bel article mon très cher frère!J'hésitais à aller voir ce film mais tu m'en as donné envie!Bravo également pour ton style!
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