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Le blog' de Gautier
26 janvier 2007

Ryszard Kapuscinski est mort

wstazkaLe journaliste polonais et auteur d'Ebène, du Negus ou encore du Shāh, ne nous donnera plus de nouvelles du monde. Ryszard Kapuscinski est décédé, mardi dernier à l'âge de 74 ans. Durant plus de 20 années, il a couvert les principaux conflits sur tous les continents. Afrique, Asie, Amérique du Sud et toujours la même acuité du regard de la part de cet infatigable globe-trotter.

kapuscinski_afp200Dans un post du 22 juillet, je vous retranscrivais un passage tiré du Shāh, un ouvrage dans lequel il nous livrait son analyse de la chute du dernier Empereur d’Iran, renversé en 1980 par Khomeiny et le mouvement shi’ite. En disséquant le processus de cette révolution, l’observateur nous dévoilait les forces qui maintiennent un pouvoir, et les forces qui le minent.

Il nous offrait alors une pleine page de poésie, à goûter inlassablement…

« Quand je veux me remonter le moral, je vais rue Ferdousi, où M. Ferdousi vend des tapis persans. M. Ferdousi, qui a passé toute sa vie à fréquenter l’art et la beauté, regarde la réalité environnante comme s’il s’agissait d’un film de série B dans un cinéma à bon marché et sale. Tout est une question de goût, me dit-il ; le plus important, monsieur, est d’avoir du goût. Le monde serait bien différent si davantage de gens avaient un petit peu plus de goût. Dans toutes les horreurs (car il les appelle des horreurs) comme le mensonge, la traîtrise, le vol, la délation, il voit un dénominateur commun : tout cela est le fait de gens sans aucun goût. Il croit que la nation survivra et que la beauté est indestructible. Il faut vous rappeler, me dit-il en déroulant un autre tapis (il sait que je ne l’achèterai pas, mais il aimerait que j’ai le plaisir de le regarder), que ce qui a permis aux Persans de rester eux-mêmes pendant plus de deux millénaires et demi, ce qui nous a permis de rester nous-mêmes malgré tant de guerres, d’invasions, d’occupations, c’est notre force spirituelle, et non matérielle ; notre poésie, et non notre technologie ; notre religion, et non nos usines. Qu’avons-nous donné au monde ? Nous avons donné la poésie, la miniature, le tapis. Comme vous le voyez, ce sont toutes choses inutiles du point de vue de la production. Mais c’est à travers elles que nous avons exprimé notre être véritable. Nous avons donné au monde cette inutilité miraculeuse, unique. Ce que nous avons donné au monde n’a pas rendu la vie plus facile, mais l’a embellie - pour autant qu’une telle distinction ait un sens. Pour nous, un tapis par exemple est une nécessité vitale. Vous déroulez un tapis sur un sol désertique, misérable, brûlé, vous vous y allongez et vous avez l’impression d’être couché dans un pré verdoyant. Oui, nos tapis nous rappellent les prés en fleurs. Vous voyez devant vous des fleurs, vous voyez un jardin, un étang, une fontaine. Des paons bondissent dans les taillis. Et les tapis sont des objets qui durent - un bon tapis gardera sa couleur pendant des siècles. Ainsi, en vivant dans un désert nu, monotone, on a l’impression de vivre dans un jardin éternel dont les couleurs et la fraîcheur ne s’altèrent jamais. Puis on peut continuer à imaginer le parfum du jardin, on peut écouter le murmure du ruisseau et le chant des oiseaux. Et puis on se sent bien, on se sent important, on est près du paradis, on est poète. »

Le Shāh, Ryszard Kapuściński, éditions 10/18, p. 167-169.

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